l’inspiration de genève

Le projet Soubeyran est ancré dans l’histoire immobilière unique de Genève. De jeunes coopératives d’habitation comme Luciole et Equilibre, par exemple, sont nées du mouvement politique et culturel des squatters dans les années 1990. La spéculation immobilière à Genève était alors à son apogée. Ou mieux : au plus bas. Des quartiers entiers étaient délibérément laissés vides par des propriétaires-spéculateurs pour simplement augmenter la valeur des terrains et des bâtiments en attendant d’être vendus à des prix usuraires. Olivier Krumm, lui-même ancien squatter, se souvient très bien de cette période : « La situation a conduit à la création de toute une série de squats collectifs. A un moment donné, il y avait 140 initiatives de logement de ce type à Genève ».

La participation des habitants

“Initiatives en matière de logement » : le choix des mots d’Olivier peut paraître euphémique pour les non-initiés. Mais pour lui, le mouvement des squatters a été une école d’apprentissage du vivre ensemble : « Nous avons appris à gérer collectivement un immeuble comme une micro-société, à organiser des concerts, des expositions et des représentations théâtrales, à tenir des bistrots à des prix très abordables… Et tout cela à partir d’un désir de faire ensemble des choses de qualité et passionnantes, plutôt que d’en tirer de l’argent ». Olivier considère les coopératives d’habitation participatives comme une continuation culturelle et politique de la philosophie des squatters, mais d’une manière plus institutionnalisée : « Maintenant, bien sûr, il n’y a plus la peur d’être expulsé de notre immeuble. Mais nous récoltons les fruits de toutes ces belles expériences, de tout ce que nous avons pu vivre au cours de ces années ».

Olivier Krumm est convaincu que l' »âme » de cette période de squat est toujours présente dans un projet comme Soubeyran : « Sauver et préserver la moindre chose, rénover au moindre coût : l’accent a toujours été mis sur nos besoins et notre utilisation plutôt que sur une esthétique ou un style particulier. Mais c’est devenu un style en soi. Un style d’action que nous appellerions aujourd’hui « conscience écologique ». Peut-être plus encore que l’écologie, Olivier affirme que l’âme de Soubeyran réside dans la participation : « Nous décidons de tout ensemble lors des réunions mensuelles. Il n’y a pas de chef. Les tâches sont partagées. Et nous essayons aussi d’impliquer les enfants ». Bref, un immeuble comme une micro-société, comme une expérience de vie collective.

Contraintes de conception

L’aspect participatif ne se limite pas au processus décisionnel. Les habitants de Soubeyran assument également des tâches matérielles : entretien du bâtiment et du jardin, nettoyage des espaces communs… Dès la construction, les coopérateurs et futurs habitants se sont retroussé les manches. Et cet engagement remonte aussi à la période des squats, raconte Olivier : « Nous avons ressenti le besoin de participer à des tâches collectives, de rénover un lieu, de peindre, d’entretenir l’entrée de la salle de concert… » Conscient qu’un tel engagement n’est pas à la portée de tous, il se réjouit qu’il existe aussi des coopératives d’habitation plus traditionnelles, moins participatives, où des professionnels sont chargés de la gestion et de la réalisation de nouveaux projets. A condition qu’elles servent le même objectif : faire barrage à la spéculation immobilière débridée.

Pour la conception de Soubeyran, Olivier et ses co-coopérateurs ont voulu partir d’une feuille blanche : « Nous avons trouvé très excitant, un peu mystérieux même, de voir comment nous allions concevoir et imaginer ensemble tout un bâtiment ». Les initiateurs ont choisi de s’imposer trois contraintes de conception. La première était que chaque résident ou famille ait un droit égal au soleil grâce à une exposition identique au sud. Une autre contrainte qu’ils se sont imposée était de ne pas prévoir d’appartements sur le toit, mais un jardin sur le toit comme espace extérieur collectif. Enfin, la troisième décision de conception a été de limiter le nombre d’ascenseurs, pour des raisons économiques, écologiques et de maintenance. Les architectes ont donc dû imaginer d’autres moyens de se déplacer dans le bâtiment, en passant par les cages d’escalier et les balcons communs. « Toutes ces décisions ont été prises collectivement, souligne Olivier, et le projet proposé par les architectes a été approuvé à l’unanimité par tout le monde.

Un petit village

Outre les appartements situés aux étages, les coopératives Luciole et Equilibre avaient l’obligation légale de prévoir un espace commercial au rez-de-chaussée. Mais au-delà de cette obligation, Olivier et ses collègues coopérateurs souhaitaient eux-mêmes s’ouvrir au quartier : « Nous étions conscients qu’avec tous nos principes, nos bottes de paille, nos toilettes à compost, etc, nous passerions un peu pour les farfelus du coin. C’est pourquoi nous avons voulu ouvrir un bistrot dès le départ ». Outre le bistrot, géré par l’un des résidents qui y brasse également sa propre bière, Soubeyran abrite également un salon de coiffure, un atelier d’art, un cabinet de shiatsu et le bureau d’architectes atba. « Le fait que toutes ces installations se trouvent au rez-de-chaussée confère à l’immeuble un caractère public distinct. On y rencontre des gens que l’on ne connaît pas ou que l’on ne connaît pas encore », explique M. Oliver. « C’est notre maison. Mais j’aime aussi l’appeler un petit village ».

Olivier pense que la plus grande qualité de son « petit village » est qu’il est géré par les personnes qui y vivent : « Idéalement, les gens aiment leur maison, la chérissent et en prennent soin. C’est la même chose, mais à l’échelle de 38 familles ». Il fut un temps où Olivier pensait qu’il était impossible de réaliser un projet comme celui de Soubeyran. Mais son rêve est devenu réalité. Grâce au contexte politique genevois. Et, bien sûr, grâce au modèle coopératif. « Ce que ce modèle d’habitat peut créer comme aucun autre, c’est un sentiment de désir », souligne Olivier Krumm. « Et si cette envie est présente, ainsi que l’enthousiasme d’un futur groupe d’habitants, rien ne s’oppose à la réalisation d’un tel projet. »

Adresse Rue Soubeyran 7-9, 1203 Genève, Suisse

Architecte atba SA, Genève

Maître d’ouvrage Coopérative d’habitation Equilibre & Coopérative Luciole

Programme 38 appartements avec espace commercial et équipements collectifs

Achèvement 2017

La Ciguë a été fondée dans les années 1980, à une époque où la pénurie de logements à Genève était très importante, y compris pour les étudiants. Les initiateurs voulaient créer une forme de logement étudiant complètement différente de ce qui existait à l’époque, comme les foyers d’étudiants religieux ou les studios coûteux sur le marché locatif privé. « Le mouvement des squats travaillait également sur le logement étudiant à l’époque », explique Aline Juon, « mais ces squats pouvaient placer les étudiants dans une situation précaire. On pouvait être expulsé de son logement à tout moment ». Grâce au modèle coopératif de la Ciguë, les étudiants ont pu, à partir de 1986, se loger auprès de la ville de Genève ou de propriétaires privés sur la base de baux temporaires.

Pour et par les étudiants

La Ciguë est une coopérative d’habitation fondée pour et par les étudiants. Près de 40 ans plus tard, les étudiants siègent toujours au conseil d’administration et à l’assemblée générale et votent pour toutes les décisions importantes à prendre. Aline : « Il y a trois assemblées générales par an, où les étudiants peuvent donner leur avis sur les décisions stratégiques qui ont un impact sur l’avenir de la Ciguë. Ils peuvent également être élus au conseil d’administration et participer aux différents groupes de travail ou comités qui s’occupent de la gestion de la coopérative. Par ailleurs, chaque coopérative d’habitants participe également à la création d’un cadre de vie plus agréable ».

En termes de cadre de vie, Les Ouches est un projet exceptionnel. Car en plus d’une vingtaine d’étudiants, des familles y vivent. Cela ne crée-t-il pas des frictions ? « Je n’entends que du positif », affirme Aline. « Il y a une dynamique intéressante entre les deux. Alors que certaines familles vivent ici depuis 20 ans, il y a logiquement une plus grande rotation du côté des étudiants. « Dans tout projet à la Ciguë, les résidents sont par définition des passants. Ils ne peuvent y vivre que le temps de leurs études, soit cinq à six ans au maximum. Ce flux naturel d’entrée et de sortie crée de la diversité et du mouvement dans le bâtiment.

Mode de vie

La dynamique particulière entre les résidents des Ouches est également stimulée par l’architecture. À chaque étage des deux volumes résidentiels, il y a des balcons communs. Il faut les traverser pour accéder à son propre appartement, mais ils sont aussi un prolongement vers le monde extérieur. « On y rencontre ses voisins, on apprend à mieux les connaître », explique Aline. « De plus, les balcons permettent d’agrémenter les façades avec de la végétation. D’une manière générale, le fait de s’occuper ensemble d’un lieu, ainsi que le partage des espaces, s’avèrent être des éléments qui plaisent beaucoup aux jeunes. »

Vivre en tant qu’étudiant aux Ouches ou dans un autre projet de la Ciguë, c’est donc bien plus que louer une chambre dans un immeuble résidentiel. Non seulement on vit dans sa propre chambre, mais on partage une cuisine, un salon, d’autres espaces communs… Et c’est très formateur. « Même si, en tant qu’étudiant, vous n’êtes coopérateur que pendant quelques années, cela change votre façon de penser, votre façon d’être dans la vie », conclut Aline. Ce n’est donc pas un hasard si de nombreux étudiants passés par la Ciguë rejoignent une autre coopérative après leurs études, voire créent leur propre coopérative d’habitation.

Adresse Chemin des Ouches 14-16 , Genève, Suisse

Architecte Hervé de Giovannini

Maître d’ouvrage Codha & Ciguë

Programme 29 appartements et espaces communs

Achèvement 2004

Eric Rossiaud nous guide à travers l’histoire du lieu : « Au départ, les services industriels de la ville de Genève étaient installés ici, dont une usine à gaz. Celle-ci a explosé au début du siècle, causant beaucoup de dégâts au sol à l’époque. Mais l’usine a été reconstruite et est restée en activité jusque dans les années 1990. » À partir de 1996, sous le nom d’Artamis, le site est devenu le centre de la scène culturelle alternative genevoise, avec des bars, des salles de concert, des cinémas et des restaurants. Jusqu’à ce qu’Artamis et toutes les initiatives culturelles fassent place à ce projet immobilier. « Mais nous avons voulu rendre hommage au passé culturel de ce lieu avec la Codha », explique Eric, « avant tout par l’attention particulière que nous avons portée aux équipements du rez-de-chaussée ».

L’esprit d’Artamis

Concrètement, la Codha a établi un plan pour le rez-de-chaussée dès le début du projet. Celui-ci prévoyait 5 000 m2 d’espaces commerciaux. « Nous avons d’abord élaboré des concepts, puis nous avons cherché des personnes pour les mettre en œuvre », explique Eric. Outre le siège de la coopérative d’habitation, le rez-de-chaussée abrite un restaurant, un centre de soins, un atelier de réparation de vélos, une épicerie et une grande brasserie avec une salle de concert en dessous. « Il y a également un espace d’exposition d’art contemporain et un petit studio de musique », ajoute Eric. « Avec tous ces équipements culturels, bars et bistrots, nous avons essayé de préserver au maximum l’esprit d’Artamis.

La présence d’une salle de concert, d’un studio de musique et d’un espace d’exposition fait de l’Ecoquartier Jonction un modeste pôle culturel. Mais également un éco-quartier. Eric : « C’est un quartier respectueux de la nature, respectueux de l’homme, avec les meilleures performances énergétiques, des entreprises sans but lucratif ou à vocation sociale. Le tout en plein centre ville. » En termes de mobilité, la Codha a également fait des choix clairs. « Tout d’abord, il s’agit d’un quartier sans voiture. Et le bâtiment est entièrement guéable jour et nuit pour les piétons et les cyclistes », poursuit Eric. « En outre, nous avons mis en place notre propre système de covoiturage : Codhality. En moyenne, environ sept ménages partagent désormais une voiture, ce qui a considérablement réduit la pression sur les parkings. »

100 % renouvelable

En termes d’énergie, l’Ecoquartier Jonction répond aux exigences du label suisse Minergie-P. « Il s’agit d’un bâtiment à faible consommation d’énergie. Il est construit avec des matériaux sains et réutilisables », explique Eric. « Et il est chauffé par un système de chauffage urbain qui puise l’eau dans le Rhône voisin. Nous sommes donc 100 % renouvelables. Pour cette raison, il n’a pas été nécessaire d’installer des panneaux solaires sur le toit du bâtiment et cet espace peut être utilisé intégralement pour les loisirs, les réunions et l’agriculture urbaine. « Nous aurions pu installer des cellules photovoltaïques. Mais cela aurait été redondant ».

Eric Rossiaud parle avec fierté de son Ecoquartier, un projet dont il n’avait jamais osé rêver lorsqu’il a fondé la Codha – il y a exactement 30 ans maintenant. « Lorsque nous avons fondé la Codha en 1994, nous étions huit. Aujourd’hui, nous comptons 6200 coopérateurs et, avec un effectif de 25 personnes, nous gérons 800 logements, avec le même nombre de logements en cours de construction. » Lorsque l’Ecoquartier Jonction a été livré en 2018, après cinq ans de travaux et un prix de 62 millions de francs suisses, il s’agissait de loin du plus grand projet de la Codha. « Il l’est resté pendant un certain temps, mais pas très longtemps », précise Eric. « À Nyon et aux Vergers – un nouvel éco-quartier de la commune de Meyrin (où se trouve notamment le CERN) – nous avons réalisé 130 logements. Et d’autres projets encore plus importants sont en cours de réalisation. »

Un modèle résidentiel d’avenir

Avec une multitude de nouveaux logements à loyers abordables et fondés sur des principes écologiques encore plus poussés, Eric voit l’avenir de la Codha et de la vie coopérative à Genève comme particulièrement positif : « Actuellement, 5 % des habitants de la ville bénéficient d’une sécurité de logement grâce au modèle coopératif. Nous espérons doubler cette proportion dans un avenir proche ». Si cette sécurité se traduit par des projets architecturaux de qualité tels que l’Ecoquartier Jonction, les choses s’annoncent bien pour la ville suisse sur le Rhône.

Adresse Chemin du 23-Août 1-3-5, 1205 Genève, Suisse

Architecte Dreier Frenzel

Maître d’ouvrage Codha

Programme 115 appartements avec espace commercial et équipements collectifs

Achèvement 2018

L’architecte-vendeur Philippe Bonhôte revient sur ce projet : « La demande de la municipalité était de créer ici un quartier résidentiel mixte qui s’adresse à différents types de ménages : des familles, des célibataires, des couples, ainsi que des personnes ayant des revenus différents. L’idée était de créer une véritable mixité sociale ». Le défi de Philippe était double : « D’une part, nous voulions offrir un maximum d’espaces communs de qualité aux habitants. D’autre part, nous voulions intégrer le bâtiment de manière optimale dans son contexte afin qu’il soit une véritable valeur ajoutée pour le quartier et qu’il favorise une vie sociale plus intense à ce niveau également. » Pour Philippe et ses collègues architectes, le mot clé de ce projet est « intégration » : « En plus d’une bonne conception des appartements individuels, il est aussi important pour nous qu’un bâtiment ne se contente pas de prendre de l’espace et de remplir un vide. Il doit mettre en valeur l’environnement dans lequel il s’inscrit ».

L’esprit communautaire

Sur le plan formel, la municipalité avait initialement en tête un immeuble de logements classique : un seul volume de bâtiment, abritant toutes les fonctions. Mais le plan de Bonhôte Zapata s’en est immédiatement écarté : « Au lieu d’un grand volume, nous avons conçu six volumes légèrement décalés les uns par rapport aux autres », explique Philippe. « Cela a immédiatement changé l’échelle du projet et lui a donné un caractère différent, l’harmonisant mieux avec les maisons individuelles et les bâtiments plus petits situés dans le voisinage immédiat. Ce choix de conception a également permis de créer des espaces extérieurs autour du bâtiment qui font de Rigaud un endroit beaucoup moins anonyme que la moyenne des immeubles résidentiels. « En outre, nous avons veillé à ce que plusieurs volumes soient franchissables pour les cyclistes et les piétons. Nous ne voulions pas d’un bâtiment avec un avant ou un arrière bien défini. La vie doit pouvoir se développer des deux côtés », ajoute Philippe.

La taille humaine du projet contribue à l’esprit de communauté : « Il y a vraiment une forme de cohabitation entre les gens qui vivent ici et les habitants du quartier. Et nous en sommes très heureux », déclare Philippe. Mais il y a aussi un autre aspect qui fait de Rigaud un projet chaleureux, humain et accessible : le choix des matériaux. « La Codha attache une grande importance à l’utilisation de matériaux naturels et sains. Nous avons donc rapidement eu l’idée d’utiliser du bois pour la construction ». Pour des raisons budgétaires, la structure de base a finalement été réalisée en maçonnerie et les façades ont été revêtues de bois. « Les planches de bois sont installées là où on peut les toucher, ce qui contribue grandement au caractère du bâtiment. De plus, grâce à la façon dont elles sont placées, elles agissent également comme un filtre de lumière et animent la façade. »

Espaces collectifs

Le projet Rigaud comprend un total de 49 appartements, allant d’une à quatre chambres à coucher. Il y a également un grand appartement en grappe, où trois ménages peuvent vivre ensemble. Les résidents-coopérateurs peuvent en outre utiliser trois chambres d’hôtes communes. « En effet, une part importante du coût de construction est investie dans les espaces collectifs », précise Philippe. « Par exemple, il y a un espace de vie et de fête commun, un atelier de bricolage, une salle de musique souterraine et une buanderie avec des machines à laver et des sèche-linges. Cette  diversité des espaces communs est typique pour le modèle coopératif, selon Philippe : « Un investisseur immobilier traditionnel veut vendre le plus grand nombre possible d’appartements individuels, car il ne peut pas tirer profit de ces espaces communs. Une coopérative d’habitation, en revanche, n’a pas de but lucratif et peut donc dépenser l’intégralité du budget de construction au profit de l’immeuble et de ses habitants ».

Rosie Fil Lopez, coopératrice à la Codha et habitante de Rigaud, se joint à lui : « En tant que coopérateurs et futurs habitants d’une coopérative d’habitation, nous pouvons beaucoup plus réfléchir à la manière dont nous voulons vivre ». Concrètement, cela signifie dans de nombreux cas : renoncer à un ou deux appartements au profit d’espaces collectifs. Et, en tant que résident, payer un loyer légèrement plus élevé. Mais selon Rosie, les loyers restent quand-même acceptablespar rapport aux normes suisses : « La Codha et les autres coopératives d’habitation font tout leur possible pour maintenir les coûts de location aussi bas que possible. Et elles peuvent le faire parce que seuls les coûts de construction du projet et les coûts de fonctionnement de la coopérative sont facturés ». Ainsi, malgré la qualité de l’architecture, les matériaux de qualité et les nombreux équipements communs, le loyer reste inférieur à celui d’un appartement générique sur le marché locatif privé.

La solidarité

Pour Rosie, l’aspect social est encore plus important que le coût : « Ici, nous nous connaissons tous. Non pas que nous soyons amis – nous restons voisins – mais je connais tout le monde par son prénom. Nous organisons des fêtes. Et il y a des groupes de travail où nous prenons ensemble des décisions concernant notre immeuble. Il y a une très bonne ambiance, que l’on ne retrouve pas immédiatement dans un immeuble conventionnel. Rosie souligne qu’il est également très agréable pour les enfants de vivre et de grandir à Rigaud : « Les miens sont déjà grands. Mais les plus petits qui vivent ici courent partout et se rendent constamment visite. Ils s’amusent vraiment comme des fous ».

Rosie estime également que l’architecture de Rigaud contribue grandement au sentiment d’appartenance à la communauté. Les couloirs et les zones de circulation couverts et spacieux  sont des lieux privilégiés de rencontre et de socialisation. Pendant le Covid, la solidarité entre les résidents a été très forte : « Les gens faisaient les courses pour leurs voisins lorsqu’ils tombaient malades et déposaient ensuite la nourriture devant leur porte ». Bref, il y règne une atmosphère et une solidarité qui semblent en contradiction avec l’individualisation et la solitude croissantes de nos villes occidentales. « Une ambiance que j’aime beaucoup et dont je ne pourrais plus me passer », conclut Rosie.

Adresse 55 Route Jean Jacques Rigaud, 1214 Chêne-Bourgeries, Suisse

Architecte Bonhôte Zapata architectes

Maître d’ouvrage Codha

Programme 49 appartements avec espaces collectifs, cafétéria et crèche

Achèvement 2018

Benoît Molineaux : « Equilibre est née d’un brainstorming entre quelques personnes qui voulaient créer un projet d’habitation exemplaire en termes de développement durable. Nous avons commencé avec huit membres et après deux ans, en 2007, nous avons obtenu un terrain à bâtir à Lancy. » Grâce à la volonté politique de la commune d’en face, Equilibre, nouvellement créée, a pu y réaliser son premier projet d’habitat qualitatif et écologique avec 20 maisons. C’est le début d’une croissance constante pour la coopérative d’habitation. La coopération avec Luciole pour le projet Soubeyran a suivi. Aujourd’hui, la coopérative est également active aux Vergers.

Initiatives participatives

« Lorsque la commune de Meyrin a lancé son appel, nous nous sommes immédiatement inscrits », explique Benoît. « L’ambition de la régie de construire un quartier durable à Meyrin, avec une orientation sociale et écologique claire, était tout à fait dans nos cordes. Equilibre a finalement réalisé trois projets dans l’éco-quartier des Vergers. Les coopérateurs et les futurs habitants ont été consultés et invités à participer dès le début au processus. « Le grand avantage des coopératives d’habitation, explique Benoît, c’est que les habitants se connaissent bien avant d’être voisins. Et grâce aux consultations organisées par la municipalité et les coopératives, plusieurs initiatives participatives ont déjà germé pendant la phase de construction. »

Benoît et ses collègues coopérateurs avaient déjà acquis une certaine expertise en matière de participation des habitants. Mais ce qui était nouveau aux Vergers, c’était l’échelle : « Nous n’avions d’expérience qu’au niveau de l’immeuble. Ici, nous avons dû penser à l’échelle d’un quartier entier ». Selon Benoît, le fait que les habitants soient si impliqués est largement dû à l’administration locale : « Je ne connais aucune autre municipalité où la partie participative a été traitée avec autant de rigueur et de sincérité. Les habitants ont vraiment été écoutés et ont ensuite eu toutes les chances de mettre en œuvre leurs projets ». Bref, en termes de partenariat entre une administration municipale et des coopératives d’habitation, Les Vergers est assurément un projet modèle.

L’équilibre planétaire

Avec Les Vergers, la commune de Meyrin a également voulu montrer l’exemple sur le plan écologique. Et là aussi, le choix du modèle de la coopérative d’habitation s’est avéré judicieux. Benoît : « La plupart des coopératives d’habitation ont des engagements écologiques dans leur charte. Elles sont précurseurs et ont acquis un savoir-faire depuis de nombreuses années. » Il y a près de 20 ans, bien avant que cela ne devienne à la mode, Equilibre réduisait déjà drastiquement l’utilisation de la voiture. Ils réduisaient leur consommation d’eau et créaient leur propre système de traitement des eaux usées. « Nous avons commencé par une conviction profonde », dit Benoît. « Et regardez, tant d’années plus tard, c’est devenu une exigence politique. Et les coopératives d’habitation, avec toute l’expertise qu’elles ont accumulée, se révèlent être les partenaires idéaux. »

Une grande partie de ce qu’Equilibre a réalisé aux Vergers est déjà résumée dans le nom que Benoît et ses collègues coopérateurs ont trouvé pour leur coopérative à l’époque : « Nous avons cherché un nom qui corresponde à notre identité et nous nous sommes basés sur l’article 73 de la Constitution suisse, qui stipule que la Confédération et les cantons doivent œuvrer en faveur d’un équilibre durable entre l’homme et la nature. » Benoît reconnaît qu’ils sont encore loin de cet équilibre : « C’est bien beau de partager une voiture avec dix familles ou de construire des bâtiments qui consomment très peu d’énergie – c’est ainsi que nous avons réussi à réduire de moitié notre empreinte. Mais pour vraiment rester dans les limites de notre planète, nous devrions être en mesure de diviser à nouveau cette empreinte par deux au moins. »

Transition sociale

L’une des dernières mesures prises par Equilibre et les autres coopératives d’habitation actives aux Vergers est le développement d’un projet alimentaire. « Nous avons considérablement réduit l’impact de notre alimentation en collaborant avec des agriculteurs et des producteurs locaux », explique Benoît. « Presque tout notre approvisionnement alimentaire est autogéré ici dans le quartier. Mais les coopératives ne se limitent pas à l’alimentation. « Par exemple, d’où viennent nos vêtements ? Nous sommes en train de réfléchir sérieusement à cette question. » Aux Vergers, il apparaît clairement que le modèle coopératif a le potentiel de penser l’habitat beaucoup plus loin. Il s’agit ni plus ni moins d’un outil de transition sociale.

Le prochain domaine sur lequel Equilibre souhaite se concentrer est celui des soins de santé, explique Benoît. « La santé est devenue un sujet brûlant en Suisse ces dernières années. Les coûts de la santé sont parmi les plus élevés au monde et continuent d’augmenter chaque année. Nous essayons donc de réfléchir à ce que nous pouvons faire en tant que citoyens et coopérateurs pour les contenir. » Par exemple, Equilibre est en train de mettre en place son propre système d’assurance maladie et il existe également des initiatives visant spécifiquement les soins de santé mentale. Car, comme chez nous, la souffrance psychique est très présente dans la société suisse. « Un quartier est le reflet de la société. On y retrouve tous les problèmes. Donc en travaillant sur tous ces aspects à l’échelle d’un quartier, on travaille aussi sur notre société », conclut Benoît.

Adresse Rue des Boudines 2, 1217 Meyrin, Suisse

Clients La Codha, Le Niton, Les Ailes, Equilibre, Voisinages, La Ciguë, Polygones & Fondation Nouveau Meyrin,

Programme 1350 logements, équipements collectifs et espaces commerciaux, répartis sur 30 bâtiments

Achèvement 2023

Un deuxième facteur clé de succès est la politique foncière des gouvernements. L’expérience genevoise montre que la propriété foncière des autorités locales est un levier crucial pour la planification urbaine en général et pour les coopératives d’habitation en particulier. Par conséquent, une situation gouvernementale financièrement saine est un important cofacteur de succès, car un déficit financier est souvent l’élément déclencheur de la vente de terrains publics pour obtenir de l’argent frais.

Troisièmement, l’accès aux institutions financières est essentiel pour donner une chance aux coopératives d’habitation. Pour ce faire, le gouvernement n’a pas besoin de dépenser de l’argent, mais les garanties bancaires sont déjà suffisantes pour rassurer les banques et entamer un dialogue avec les coopératives.

Enfin, il faut mentionner – paradoxalement – l’existence d’un marché locatif cher comme l’un des facteurs stimulants pour les nouvelles coopératives d’habitation. Sans pression sur les loyers, il est plus difficile d’imposer une politique globale du logement qui valorise le logement abordable.

Téléchargez le rapport complet du Cera Coop Tour à Genève en octobre 2023 ici.