Cooperative Conditions : Anne Kockelkorn sur les leçons de Zurich pour Gand


« Merci de m’avoir invitée à partager des idées sur les cooperative conditions à Zurich et à plaider pour un logement étudiant coopératif à Gand. » C’est par ces mots que l’architecte-chercheuse Anne Kockelkorn a ouvert sa conférence au STAM. En trois temps, elle a exploré les parallèles entre Gand et Zurich, la nécessité d’un modèle de logement étudiant non spéculatif et les enseignements que la Flandre peut tirer de l’expérience suisse. Kockelkorn parlait depuis une double position : celle d’une spécialiste de Zurich, où elle a mené pendant des années des recherches sur l’habitat coopératif, et celle d’enseignante à l’UGent, où elle dispense aujourd’hui des cours d’histoire et de théorie du logement.

Zurich possède depuis plus d’un siècle une culture vivante de l’habitat coopératif, reconnue depuis les années 2010 bien au-delà de la Suisse pour sa qualité architecturale exceptionnelle et la générosité de ses espaces partagés. Des projets comme Kalkbreite montrent comment des formes d’habitat collectif peuvent exceller sur le plan du design tout en restant abordables. À Zurich, le secteur coopératif détient 9 % des terrains constructibles, ce qui représente 18 % des logements loués à prix coûtant. À Gand, ce chiffre n’atteint que 0,2 %. Pourtant, Anne Kockelkorn voit des similitudes : le projet primé Bellefleur de wooncoop pourrait, à l’image du projet moderniste Neubühl à Zurich à l’époque, constituer un point de départ symbolique pour l’émergence d’une culture coopérative urbaine.

Pourquoi le logement étudiant devient le test décisif

Le marché du logement à Gand est sous forte pression : la moitié des locataires dépense plus de 30 % de ses revenus pour se loger. L’arrivée de 12 000 chambres étudiantes supplémentaires risque d’accentuer encore cette tension. « La question, a souligné Kockelkorn, est de savoir si cette offre additionnelle fera baisser la pression ou si elle la renforcera — et si elle peut aussi être l’occasion d’introduire un modèle non spéculatif, soustrait aux logiques du marché. » Elle a rappelé qu’entre propriété privée et propriété publique existe toute une palette d’entre-formes, allant de collectifs autogérés à des coopératives soutenues par les pouvoirs publics. Ces formes hybrides d’appropriation et de location mériteraient, selon elle, davantage d’attention en Flandre.

Kockelkorn a évoqué l’histoire coopérative riche de Gand, où la coopérative ouvrière Vooruit a jadis façonné la ville à travers magasins de quartier et équipements culturels. « Cet héritage montre que Gand dispose d’une tradition d’action collective sur laquelle elle peut s’appuyer. » Aujourd’hui, cet esprit pourrait se réactiver via des modèles coopératifs de logement étudiant, où abordabilité et vie communautaire se renforcent mutuellement.

Rompre avec les logiques financières

La deuxième partie de la conférence a porté sur la nécessité d’un logement non spéculatif. Depuis la crise financière de 2008, a expliqué Kockelkorn, le secteur immobilier est de plus en plus imbriqué avec le capital financier. « Les intérêts des investisseurs se sont totalement détachés des besoins des habitants. » Cela vaut aussi pour le logement étudiant : des fonds d’investissement internationaux voient dans les chambres étudiantes un produit immobilier rentable. À Bruxelles, apparaissent déjà des projets de cohousing qui, comme elle l’a formulé, constituent « les premières niches d’un marché immobilier gouverné par des logiques financières ».

Un logement étudiant coopératif peut précisément briser ce schéma. Kockelkorn a cité des exemples allemands, comme le Collegium Academicum à Heidelberg, et genevois, où la coopérative La Ciguë apprend depuis 35 ans aux étudiants à vivre ensemble et à gouverner ensemble. « Il ne s’agit pas seulement d’accessibilité financière, a-t-elle insisté, mais aussi d’une école d’autogestion, dans laquelle les étudiants apprennent collectivement à décider et à assumer des responsabilités. »

Leçons de Zurich pour Gand

Que peut apprendre Gand de Zurich ? Kockelkorn a dégagé quatre leçons. La première concerne la force du désir collectif de vivre ensemble et de bâtir une structure démocratique autour de ce projet commun. La deuxième est le principe du loyer à prix coûtant, fondé sur les coûts réels et non sur la valeur de marché. « Ce qui compte, c’est le coût de construction et d’entretien, pas ce que le marché est prêt à payer : voilà le cœur de l’abordabilité à long terme. » Grâce à ce principe, les coopératives zurichoises restent, après cent ans, environ trois fois moins chères que le marché, avec quasiment aucune vacance.

La troisième leçon est celle de la confiance, à la fois entre habitants et entre la ville et le mouvement coopératif. Dans les années 1980, Zurich a travaillé activement avec le mouvement des squats pour régulariser des bâtiments vides et créer de nouvelles coopératives. Enfin, la quatrième leçon est celle de la qualité architecturale. Kockelkorn a rappelé que Zurich a lié l’attribution de terrains à des concours de qualité : chaque coopérative devait prouver, par la compétition, qu’elle pouvait conjuguer qualité de conception et valeur sociale.

Gemeinnützigkeit : un cadre de valeur publique

Un facteur clé du succès zurichois est, selon Kockelkorn, la reconnaissance juridique de la Gemeinnützigkeit, c’est-à-dire le statut d’« utilité publique ». Cette reconnaissance garantit depuis 1910 des conditions de crédit avantageuses pour les coopératives. Lorsque la ville a abaissé en 1924 l’apport propre exigé pour les prêts à 6 %, le mouvement coopératif a véritablement décollé. « Cela semble un détail technique, mais c’est précisément ce levier financier qui rend la croissance possible », a-t-elle expliqué. Aujourd’hui encore, des garanties publiques restent déterminantes : les banques prêtent plus facilement aux coopératives lorsque les pouvoirs publics couvrent la partie risquée des emprunts.

Elle a illustré ce mécanisme par le célèbre Hunziker Areal, construit entre 2007 et 2015. Sur 200 millions de francs suisses investis, à peine 10 millions provenaient de fonds propres ou de crowdfunding ; le reste était emprunté. Pourtant, cet argent s’est traduit en matériaux durables, en espaces communs généreux et en confiance dans le modèle. « Ici, la dette n’est pas un fardeau, mais un signe de responsabilité collective », a-t-elle résumé.

Le foncier comme levier

Kockelkorn a enfin insisté sur l’accès au foncier. Sans terrain concret, a-t-elle dit, aucune coopérative ne peut démarrer. À Zurich, la ville assure, via des contrats d’emphytéose et une mise à disposition favorable des sols, que les coopératives puissent continuer à construire, même lorsque les prix du foncier flambent. Ce mécanisme maintient les loyers bas, car la valeur du terrain ne suit plus la logique de marché. Pour Gand, cette piste serait également réaliste : « La ville peut mettre des terrains à disposition des coopératives en emphytéose, comme investissement structurel dans un logement abordable à long terme. »

En conclusion, Kockelkorn a résumé l’essentiel de son propos : « L’habitat coopératif est une forme de gestion attentive — prendre soin de la ville et de ses habitants. » À Zurich, a-t-elle rappelé, ce n’est pas le marché qui crée la valeur, mais la communauté elle-même. Un logement étudiant en gestion coopérative garantirait donc non seulement l’abordabilité, mais constituerait aussi un laboratoire pédagogique du vivre-ensemble. « La plus belle leçon de Zurich, a-t-elle conclu, c’est que le choix de la non-spéculation engendre l’architecture la plus inspirante. »