Le modèle d’habitat coopératif comme moteur de la transformation des quartiers de lotissement ?


Le lundi 17 novembre, le Team Vlaams Bouwmeester et le Département Environnement ont organisé, à la Maison provinciale de Gand, la journée d’étude Quartiers de lotissement en transformation. La rencontre s’est ouverte par la projection du documentaire Heilige Huisjes ?, qui retrace l’ensemble du parcours d’apprentissage consacré aux quartiers de lotissement (bien situés). À la fin du film, le spectateur découvre une série de projets inspirants de densification en contexte de lotissement. L’un d’eux est Rigaud, un projet d’habitat coopératif à Chêne-Bougeries, près de Genève. Les images, tournées lors de la Coop Tour organisée par Cera et Architectuurwijzer en 2023, montrent comment un modèle résidentiel compact et collectif peut fonctionner dans un environnement de faible densité, reconnaissable aussi pour la Flandre.

Dans le documentaire, le maître architecte de la ville de Gand Peter Vanden Abeele explique pourquoi Rigaud constitue un projet de référence particulièrement pertinent. Selon lui, ce projet est « presque littéralement transférable » aux quartiers de lotissement flamands bien situés, précisément parce que son langage architectural ne diffère pas radicalement de ce à quoi les habitants sont habitués ici. L’ambition de Rigaud — combiner un habitat plus compact avec une grande qualité de vie — pourrait, d’après Vanden Abeele, s’implanter en Flandre sans modifications majeures si le contexte institutionnel le permettait. Il reconnaît toutefois que la Suisse s’appuie sur une tradition de coopératives d’habitat qui fait défaut en Flandre. C’est justement ce contraste qui fait émerger une question plus fondamentale : un modèle de propriété coopératif pourrait-il, en Flandre aussi, devenir un levier pour rendre possible la densification des quartiers de lotissement, sans en miner le plaisir d’habiter ni la structure sociale ?

Conditions financières pour densifier les lotissements

Le parcours d’apprentissage au cœur du documentaire Heilige Huisjes ? a élaboré différents scénarios de densification pour Gand, Roulers et Tervuren. Les trois trajectoires ont débouché sur un constat étonnamment similaire : les modèles de développement classiques se heurtent structurellement à la réalité financière des lotissements. Le rapport final indique qu’« aucun scénario n’est financièrement viable avec un retour sur investissement habituel de 12 à 15 % ». Cette observation touche le cœur du problème : le foncier y est cher, les maisons — même en mauvais état — se vendent à prix élevé, et la consolidation de plusieurs parcelles entraîne des niveaux d’investissement qui ne peuvent être amortis qu’au prix d’une densification forte. Or, cette montée en échelle ne correspond pas à la capacité spatiale des quartiers, si bien que les projets se bloquent avant même d’atteindre le stade du dialogue avec les habitants. Le cadre financier s’avère donc aussi déterminant que le cadre urbanistique.

Dans ce contexte, la proposition d’examiner des modèles d’habitat coopératif apparaît remarquablement concrète. Dans une coopérative, les habitants sont actionnaires : le projet n’a pas à générer de profit, et les temps de retour peuvent être étalés sur des périodes beaucoup plus longues. Le rapport final affirme qu’« un modèle coopératif pourrait bien receler une solution », à condition qu’une autorité publique ou un fonds tournant participe au capital de départ. Cette base ouvre une nouvelle piste de réflexion : une coopérative ne doit pas fonctionner selon la logique de l’efficacité financière maximale, mais peut privilégier l’accessibilité, des équipements collectifs et une transformation progressive adaptée au quartier. La question se déplace alors de la pression d’investissement vers la capacité d’organisation : comment mobiliser un groupe d’habitants, des acteurs publics et éventuellement des partenaires institutionnels afin de porter ensemble un modèle résidentiel alternatif ?

Enseignements des études de cas : Roulers et Wondelgem

L’étude de cas menée à Roulers, dans le quartier de Groenpark, montre comment une telle logique pourrait se concrétiser. Les habitants vieillissent et souhaitent rester dans un environnement familier. Les équipes de conception y ont exploré des équipements partagés — une maison de soins de quartier, des chambres flexibles, un large avant-jardin paysager — mais elles se sont heurtées au fait que la structure de propriété individuelle ralentit toute initiative collective. Le quartier a pourtant montré que les habitants sont prêts à réfléchir à des infrastructures communes lorsqu’un engagement clair et un bénéfice réciproque existent. C’est précisément dans ce champ de tension qu’une structure coopérative pourrait jouer un rôle : elle permettrait de dépasser la fragmentation et de devenir un véhicule pour mutualiser investissements, gestion et programmation à l’échelle du quartier.

À Wondelgem, les limites des modèles classiques apparaissent encore plus clairement. Bien que le site soit favorable — proche des transports publics, des équipements et d’une structure verte — la densification s’est révélée difficilement viable sur le plan financier. L’achat des maisons existantes, le coût de démolition et la création d’un nouvel environnement résidentiel collectif se traduisaient systématiquement par des scénarios que les promoteurs ne pouvaient rentabiliser qu’avec des densités trop élevées pour que le quartier puisse les absorber spatialement et socialement. Le parcours a donc explicitement évoqué des modèles alternatifs comme les coopératives ou des initiatives de quartier collectives, moins dépendantes d’un ROI rapide et mieux adaptées au rythme et à l’échelle de ces tissus pavillonnaires. La conclusion fait de Wondelgem un point clé : ce n’est pas la densification en soi qui est irréalisable, mais bien le modèle de financement auquel on la lie.

Le rôle structurel des pouvoirs publics et des politiques

Le parcours d’apprentissage a aussi montré que, sans pilotage public, la transformation spatiale des quartiers de lotissement a peu de chances d’aboutir. Des prescriptions de lotissement obsolètes et des plans communaux d’aménagement bloquent, dans de nombreux quartiers, toute forme de reconfiguration collective ou d’adaptation, même lorsque habitants et concepteurs souhaitent innover. Les experts du Département Environnement et du Team Vlaams Bouwmeester ont souligné qu’une dérégulation, combinée à de nouveaux instruments financiers, est essentielle pour donner une chance à des modèles résidentiels alternatifs. Cela peut passer par des fonds tournants et des prêts doux, par une co-investissement public, ou par la mutualisation de terrains via des partenariats public-privé. Ces outils ne sont pas un luxe : ils sont des conditions pour mener une agenda de densification socialement et urbanistiquement responsable.

En plaçant des projets comme Rigaud en regard des études de cas flamandes, un horizon clair se dessine : le lotissement n’a pas à être un point final de l’évolution territoriale, mais peut devenir un tissu résidentiel plus collectif et tourné vers l’avenir. Le cœur de cette évolution ne réside pas dans la production du plus grand nombre possible de nouveaux logements, mais dans la redéfinition des structures de propriété, de gestion et d’investissement. Une coopérative fournit un cadre où les habitants ne sont pas seulement des usagers, mais aussi des copropriétaires et co-investisseurs. Cela permet d’articuler les bénéfices sociétaux de la densification — meilleurs équipements, mobilité plus durable, davantage d’espaces partagés — avec un système de responsabilité commune qui dépasse les limites des parcelles individuelles.

Conclusion

La lecture conjointe du parcours d’apprentissage et du documentaire révèle un schéma difficile à ignorer. La densification des quartiers de lotissement bien situés est spatialement possible, socialement défendable et urgentement nécessaire, mais elle se heurte à des structures financières et juridiques conçues pour une autre époque. Le modèle coopératif, fondé sur le long terme, la copropriété partagée et l’abandon de la marge classique des promoteurs, offre précisément sur ces points une alternative à la fois réaliste et tournée vers l’avenir. La question n’est donc pas de savoir si les coopératives peuvent jouer un rôle dans la transformation des quartiers de lotissement, mais comment la Flandre peut créer les conditions nécessaires pour rendre ce rôle effectif.

Texte : Bertrand Lafontaine
Photo : Michael Lombarts